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Atlanta - Bilan saison 2

Bilan saison 2 © FX - 2018

Attention : vous devez avoir vu la saison entière avant de lire cette critique.

FX vient d’achever la diffusion de la deuxième saison d’Atlanta qui s’en sort avec les honneurs de la critique et du public à l’issue de onze épisodes qui ont redonné ses lettres de noblesse à la dramédie. Comme d’habitude, je vous renvoie vers mes critiques hebdomadaires (liens cliquables sur la droite) si vous voulez plus de détails sur les épisodes. Ce bilan traitera davantage des grandes lignes de la saison et de leur traitement.

J’ai longuement hésité avant d’écrire à propos de cette saison. J’appréhendais la subtilité et la profondeur avec laquelle les intrigues étaient traitées. Je pensais également ne pas avoir assez de recul et de bagage sur les sujets de société brûlants abordés par la série. C’était davantage compliqué puisqu’ils sont vus à travers le prisme de la société américaine qui reste bien différente de la nôtre. J’ai relu mon bilan de la première saison et je l’ai trouvé superficiel. Il ne rend pas du tout hommage à Atlanta qui, dès ses débuts, s’est imposée comme une évidence. J’ai donc eu envie d’aller plus loin en entreprenant un vrai travail de recherche et d’analyse. Alors cette « Robbin’ Season », elle vaut quoi ?

Cinquante nuances de Noir

Atlanta s’est davantage efforcée de représenter exhaustivement la population afro-américaine. Tout en nuance, la série a montré les différentes facettes de la vie des Noirs aux États-Unis avec un œil quasi-documentaire. Atlanta dénonce sans jamais juger. Elle fait bouger les consciences sans prendre à parti le téléspectateur. Avec toute l’expertise qu’on lui connaît, le show n’a cessé de mettre en scène des situations ultra-réalistes en jouant habilement sur deux volets : l’humour noir pour dénoncer l’absurde et le réalisme cru pour faire réfléchir.

En arrière-plan, la drogue est omniprésente. De l’aveu de Donald Glover lui-même, les Noirs d’Amérique seraient tous atteints de Syndrome Post-Traumatique causé par leurs conditions, expliquant leur recours aux drogues. Ajoutez à ça les milieux défavorisés dont ils sont souvent issus et vous obtiendrez un cocktail explosif. La série dépeint régulièrement Darius et Alfred en train de planer, ne se souciant que peu de ce qui les entoure. Earn qui ne consomme pas quant à lui vit plutôt un quotidien de stress et redoute les lendemains.

Le fléau du racisme est lui aussi traité avec nuances. Cette saison prouve qu’au sein même de cette communauté, il fait des ravages. Le season finale Crabs in a Barrel en est la parfaite illustration. La saison entière met en scène cette fameuse « mentalité du crabe », une manière pour des individus –plutôt issus de milieux pauvres- de saborder les tentatives de s’en sortir de leurs semblables afin qu’ils restent dans le même bateau. Par la voix d’Alfred, la série pose un constat glaçant : s’il est difficile pour un Noir de réussir, il doit à tout prix éviter d’échouer. Un instinct de survie qui foudroie Earn à l’issue d’une saison où le jeune homme n’a cessé de se faire rabaisser sans rien dire. Refus du système ou simple naïveté ? On apprend que les jeunes américains issus de milieux sociaux modestes sont jetés dans l’arène dès les débuts de leur scolarité. Entre cette maîtresse d’école qui aide les enfants doués à échapper à l’abattoir du système scolaire défaillant ou ces adolescents qui fustigent et harcèlent les plus pauvre d’entre eux, Atlanta dépeint des problèmes sociétaux profonds en remontant à leur source.

Le racisme ordinaire a encore toute sa place dans cette saison. Le symbole du drapeau confédéré qui revient à plusieurs reprises rappelle que les pires jours de l’Amérique refont surface. Mais c’est bien le racisme entre Noirs qu’Atlanta a décidé d’explorer cette année à travers de multiples exemples : on se souvient de la journée galère d’Earn et son billet de 100$. Plus dur encore, on ne pouvait rester de marbre face à la meilleure amie de Van qui a tenu un discours d’une rare violence : si Van veut une meilleure vie, elle doit abandonner son milieu d’origine ou, plus vulgairement, arrêter d’être Noire et de vivre avec eux. Atlanta prouve ici qu’elle n’a rien de communautaire. À travers le constat de la vie des Noirs américains, elle propose une véritable réflexion sur leur identité moderne étriquée dans un quotidien hanté par les fantômes du passé et bloquée par le plafond de verre d’un futur incertain.

Chronique de la « Robbin’ Season »

Cette seconde saison est sous-titrée « Robbin’ Season » à savoir « Saison des Braquages » du nom de cette période particulière propice aux crimes et délits à l’occasion des fêtes de fin d’année. Largement utilisée dans la promotion de la série, l’appellation promettait une nouvelle saison plus cohérente. Mais plus les semaines passaient, plus la « Robbin’ Season » passait pour un prétexte plutôt que pour un réel fil rouge. Il s’agit certainement d’une erreur d’interprétation due à l'usage systématique de l’expression dans la promotion.

La « Robbin’ Season » reste néanmoins dans les mémoires à chaque coin de rue. Violents braquages, agressions brutales et petits délits en tout genre ponctuent le quotidien de nos trois héros. À l’écran, de maigres indices temporels nous renseignent sur le déroulé des événements. L’intrigue commence peu avant Noël pour se terminer vers la fin du mois de Janvier. Un parti pris assumé destiné à ne pas fermer de portes pour des épisodes à l’environnement spatio-temporel volontairement flou. Côté décors, la série donne la part belle à la banlieue d’Atlanta avec ses habituels quartiers résidentiels mais aussi quelques références au passé musical légendaire de la ville. Si la première saison était une espèce de Carpe Diem de la galère, ce second acte tend davantage vers un certain âge de la maturité pour les personnages. Forcés de prendre de lourdes décisions, nous avons pu voir ces derniers lutter pour surmonter les difficultés de leur quotidien.

De l’aveu d’Hiro Murai – réalisateur des deux tiers de la série – ce deuxième volet n’avait pas de structure particulière et n’était piloté par aucune intrigue principale. On peut néanmoins considérer la carrière de Paper Boi et ce qui s’y rapporte comme tel puisque tout ou presque tourne autour. Le réalisateur fétiche de Donald Glover signe huit des onze épisodes pour lesquels il précise avoir eu une approche unique à chaque fois en piochant dans le standalone ou le bottle episode pour sortir des structures de narration classiques. Le metteur en scène sait sublimer un scénario ou au contraire se retirer humblement quand l’intrigue le nécessite. Mention spéciale pour le chef-d’œuvre Teddy Perkins qui fait office de mini-film exceptionnel qui prouve qu’Hiro Murai est un des réalisateurs les plus doués de sa génération. Il propose ici une véritable expérience télévisuelle à la croisée du tragique et du surréalisme.

D’une qualité exceptionnelle, cette « Robbin’ Season » ne déçoit que rarement. Le potentiel d’Helen s’est vu court-circuité par une mise en scène ratée et voyait sa réalisatrice Amy Seimetz quelque peu dépassée. Elle s’en tire un peu mieux pour Champagne Papi mais hérite d’une satire bien trop hésitante sur le papier qui ne lui permet pas de briller à l’écran. On est tout de même loin d’une sortie de route, Atlanta maintenant un certain niveau même dans les creux de sa narration globale. Cette année, la série n’a cessé de se remettre en question et de se réinventer pour notre plus grand plaisir.

Une affaire de famille

Le duo Glover/Murai s’est entouré d’une petite équipe jeune et dynamique qui s’apparente à une véritable entreprise familiale. Le processus de création fait fi des cases pour que chaque épisode puisse voir le jour en concertation et dans la bonne humeur. Les échanges avec les acteurs sont privilégiés afin de rendre plus réaliste une scène voire une intrigue entière. Ce fut le cas avec Zazie Beetz dont les origines allemandes méconnues ont été intégrées à son personnage de Van cette saison grâce à Donald Glover. On regrette la faible présence du seul rôle féminin principal, son interprète ayant probablement été trop occupée sur les plateaux du blockbuster Deadpool 2 où elle squatte le haut de l’affiche.

L’exemple le plus parlant de cette façon peu coutumière d’écrire une série reste le quasi-huis clos Woods écrit par Stefani Robinson. L’épisode voyait Alfred vivre un rite initiatique brutal qui lui aura permis de mieux vivre le deuil de sa mère ainsi que sa nouvelle célébrité. Et cette intrigue n’est pas sortie de nulle part : la mère de Brian Tyree Henry est décédée à la fin de la première saison alors que l’acteur connaissait un succès fulgurant ! Un parallèle que la jeune scénariste a décidé d’explorer avec délicatesse. Après le drame, l’équipe s’était juré de rendre hommage à la mère d’Henri d’une manière ou d’une autre. Ce dernier avait prévenu la production que le jour venu, il faudrait composer avec son chagrin. Le tournage de l’épisode fut donc une expérience unique autant pour les créatifs que les pour les acteurs. L’interprète d’Alfred a même refusé de croiser l’actrice qui jouait la mère de son personnage à l’écran. Bien que douloureuse, l’épreuve aura permis à Brian Tyree Henry de vivre le même rite de passage que celui qu’il incarne.

La tête pensante d’Atlanta sait se retirer et mettre en valeur d’autres talents. Ainsi, Donald Glover se contente de deux scénarios et deux réalisations et laisse son frère écrire un tiers de la saison. Taokif Kolade, Ibra Ake et Jamal Olori complètent l’équipe de professionnels cités jusqu’ici pour des premiers essais prometteurs après avoir passé des heures comme simples collaborateurs d’écriture.

Sous les projecteurs

Vous l’aurez compris, les talents en coulisses regorgent d’idées. Cette année encore plus, le casting principal excelle pour les mettre en œuvre. Nouvelle révélation, Brian Tyree Henry persiste et signe avec des prestations justes quelle que soit l’humeur adoptée par l’intrigue. Dans le rôle d’un Alfred plus mature et concerné, il a su se distinguer dans le piquant et invraisemblable Barbershop autant que dans le profond et délicat Woods. Il partage avec son acolyte Donald Glover la capacité de transparaître toute sorte d’émotion avec de simples expressions du visage, très utile dans les moments de comédie. Les deux acteurs ont d’ailleurs régulièrement partagé l’affiche, leurs personnages bénéficiant d’une storyline recherchée dans l’évolution de leur relation entre devoir familial et réussite professionnelle. Renforcé par l’inattendu FUBU, l’arc scénaristique a pris un tournant décisif pour les deux cousins dans le season finale lourd de sens.

Ce dernier hérite quant à lui d’intrigues plus personnelles pour son personnage en perpétuelle lutte avec lui-même. Le comédien incarne avec brio un Earn docile voire naïf constamment en retrait. Il signe également une performance exceptionnelle en étrange Théodore Perkins, ancienne gloire musicale au visage blanchi par la maladie qui n’est pas sans rappeler Michael Jackson. Sur le tournage, Glover ne faisait plus qu’un avec son personnage qui semblait le posséder, effrayant ainsi ses partenaires. L’acteur s’est néanmoins fait plus discret en seconde partie de saison. La cause peut-être à un agenda surchargé pour le génie multi-casquette qui vit une année 2018 exceptionnelle. À peine cette seconde saison terminée qu’il se révèle aux yeux du grand public peu habitué à le voir évoluer sur des terrains moins accessibles. Alors qu’il surprend dans le rôle d’un jeune Lando Calrissian à l’occasion du dernier spin-off Star Wars en date, il se permet au même moment de casser l’Internet et le monde du hip-hop. Sous son pseudonyme de rappeur Childish Gambino, il sort le symbolique et frappant This Is America, violent constat emprunt d’une amère poésie sur la condition des Noirs aux Etats-Unis illustré par nul autre qu’Hiro Murai. De quoi rappeler les thèmes de prédilection qu’il traite sur le petit écran depuis deux ans maintenant. Résultat : 200 millions de vues en trois semaines et un nom qui résonne aux quatre coins de la planète.

Le reste de l’affiche est partagée par une trop rare Zazie Beetz dont le personnage de Van bénéficie néanmoins d’une caractérisation efficace entre devoir de mère et rêves d’indépendance. Lakeith Stanfield campe toujours aussi efficacement l’amusant Darius qui quitte son nuage haut perché pour quelques fulgurances de lucidité appréciables notamment auprès d’un Earn acculé dans le season finale. À noter le recours à des personnages comiques bienvenus dans l’atmosphère douce-amère particulière d’Atlanta. Cette saison introduit l’hilarant Tracy (Khris Davis) dans la bande de héros tandis qu’elle pioche dans le stand up avec les guests Katt Williams et Robert Powell aux performances remarquables. Si la série est bien une dramédie, elle surfe sur les deux genres sans réellement se soucier des étiquettes. Elle aime créer de la tension mais aussi la relâcher de façon inattendue. La comédie n’est clairement pas une priorité : une ligne de conduite assumée par l’équipe créative qui précise néanmoins que c’est un ingrédient important de la recette Atlanta dont le seul et unique but est le réalisme, peu importe le ton employé et le temps qu’il faut prendre pour ce faire.

La musique dans tous ses états

La musique –principalement urbaine- a toujours fait partie de l’ADN d’Atlanta. La première saison était celle des mixtapes maison, des CD gravés vendus dans la rue et du bouche-à-oreille. Avec son titre éponyme Paper Boi, Alfred se voyait propulsé dans la sphère du buzz et de la petite célébrité. Dans Sportin’ Waves, le rappeur est approché par un label intéressé pour produire un album. La série s’amuse alors à confronter Alfred et Earn à un monde foncièrement différent : bienvenue dans une start-up nouvelle génération où travaillent une majorité de millenials qui n’ont probablement jamais vu de CD de leur vie. Autant dire que les deux cousins passent pour de véritables aliens. On y rencontre Clark County (RJ Walker), un rappeur d’un genre différent puisque complètement commercial. Malgré les réticences, Paper Boi finira par collaborer avec lui en acceptant de céder aux codes du milieu pour espérer réussir. On les quittera d’ailleurs en partance pour une tournée européenne.

La gestion de la célébrité d’Alfred fut un thème récurrent de cette « Robbin’ Season ». Du braquage par son propre dealer aux selfies sans autorisation en passant par sa violente agression, le rappeur a difficilement accepté sa nouvelle condition. Il s’est heurté à une dure réalité dans sa posture de revendication de ses origines sociales : conspué par les autres Noirs ayant réussi, il est tout autant jalousé par les autres qui tentent comme lui de réussir. Dans Champagne Papi, la série évoque également une figure de succès en la personne du chanteur/producteur Drake. À travers une satire de l’influence des réseaux sociaux et du selfie comme preuve de réussite, les équipes créatives ont choisi d’illustrer toute la superficialité du milieu qui entoure un tel artiste.

Sur les mêmes thèmes, le singulier Teddy Perkins est un ajout aussi fin que passionnant. Gloire musicale oubliée, l’artiste désormais malade se cloître dans une sombre demeure qu’il s’active à transformer en hommage physique à ces années de consécration. Si Atlanta tire sa révérence à ces figures Noires qui ont marqué le monde entier de leur talent, elle n’oublie pas d’insister sur les coulisses méconnues de ces succès hantés par le sacrifice. Si Michael Jackson inspire largement Théodore Perkins, Tiger Woods, Serena Williams ou encore Marvin Gaye sont cités. Le show aborde humblement les souffrances sur lesquelles ont été bâties ces légendes, entre enfance sacrifiée et pères abusifs. Et il vient poser une question aussi délicate que profonde : faut-il pardonner ou au contraire condamner ces pères Noirs vivant à l’époque de la ségrégation raciale qui ont tout fait, même le pire, pour donner à leurs enfants une chance de réussir ?

Bilan

Crabs in Barrel clôt cette « Robbin’ Season » d’exception avec un épisode hommage bourré de références et de parallèles aux deux saisons écoulées. Atlanta n’a cessé d’évoluer en se nourrissant du monde qui l’entoure, du climat social brûlant aux faits divers en passant par la culture Internet. Elle s’est également nourrie d’elle-même pour montrer une autre facette d’un sujet déjà abordé dans l’optique d’un regard le plus exhaustif possible sur la société américaine actuelle. Rien n’est laissé au hasard et la moindre référence sociétale ou culturelle sert le propos. Aussi périlleux que soit l’exercice de produire une seconde saison d’un programme, Atlanta l’a pourtant réussi sans sourciller. Mieux encore, dans son genre continuellement tiraillé entre la comédie et le drame, elle a offert un subtil mélange des deux sans se soucier des étiquettes.

Si pour l’instant aucune troisième saison n’a été officiellement annoncée par FX, les équipes créatives et le casting ont déjà abordé des pistes pour le moment plus ou moins abouties. La critique ayant largement validé cette seconde saison, il est fort à parier que la chaîne privée rempile sans hésitation. Grâce à des épisodes exceptionnels et des prestations remarquables, la série mérite de figurer aux nominations des Emmy Awards et autres Golden Globes. Elle incarne ce que la télévision diffuse de mieux de part sa capacité à transcender son média et en attirant l’attention sur ces voies moins conventionnelles de raconter une histoire. Semaine après semaine, Atlanta a construit sa légende et a prouvé qu’elle avait largement sa place au Panthéon du petit écran.

9/10

Bilan

Atlanta a forgé sa légende au fil des semaines de cette seconde saison d’exception. Assurément ce qui se fait de mieux en télévision en ce moment.

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