Critiques
Seriesaddict.fr par Yazid Doudou | 0
Attention : vous devez avoir vu la saison avant de lire cette critique. Pour plus de détails concernant les épisodes, veuillez lire les critiques hebdomadaires de la saison.
AMC vient d’achever la diffusion de la cinquième saison de Fear the Walking Dead, née dans l’ombre de sa grande sœur et qui vole désormais de ses propres ailes. Après un soft reboot opéré par Andrew Chambliss et Ian Goldberg (Once Upon a Time (2011)), un vent d’air frais soufflait sur la série qui voyait ses équipes créatives profondément renouvelées et son identité visuelle évoluer. Après cette quatrième saison prometteuse, et malgré ses défauts, la suite s'annonçait sous les meilleurs auspices. Un espoir vite envolé : après une introduction solide, cette cinquième fournée s’est rapidement enlisée dans une extrême torpeur créative dont elle n’aura presque pas su sortir. Retour sur ce qui a fait – ou pas – cette saison.
Y a-t-il un pilote dans l’avion ?
Ce qui frappe au fur et à mesure que la saison avance, c’est cet étonnant manque d’audace créative dans lequel les épisodes baignent. Et pourtant, Fear the Walking Dead débutait sa cinquième année sur les chapeaux de roues avec un season premiere musclé et une suite toute aussi solide qui laissait profiler une première partie de saison efficace. Malheureusement, le couperet tombe violemment sur la série et il prend le nom d’Humbug’s Gulch. Le troisième épisode constitue une sortie de route catastrophique qui aura signé l’arrêt de mort de la saison. Les stériles Skidmark et The Little Prince constituent quant à eux ce que Fear peut proposer de plus mauvais, tandis que Still Standing suivi du mid-season finale Is Anybody Out There? closent la première partie de saison de la manière la plus molle qu’il soit.
Seul The End of Everything se distingue de par l’intrigue qu’il traite, à savoir les activités de la mystérieuses CRM et ses hélicoptères noirs introduits dans The Walking Dead. On y apprend que le groupe est particulièrement structuré et que ses membres surentraînés et suréquipés préparent méticuleusement le futur du monde post-apocalyptique. Un potentiel monstre inexplicablement gâché puisque CRM disparaîtra tout bonnement après ce focus. En posant plus de question que cette intrigue apporte de réponses, et en décidant de complètement passer à autre chose, les équipes créatives déçoivent. Elles ratent au passage une occasion unique pour Fear de prendre de l’ampleur dans la franchise et de jouer un rôle narratif incontournable.
Du potentiel, il y en avait aussi dans la sous-intrigue de la centrale nucléaire et du désastre atomique promis par la fusion du cœur de l’un de ses réacteurs. Mais rien. Sur la forme, Fear peine à faire ressentir la menace d’une telle catastrophe. Quelques zombies radioactifs et des panneaux de danger nucléaire alarmants semblent suffire aux créatifs. Quid d’un épisode flashback au cœur de la centrale en pleine apocalypse zombie ? Originalité, audace et action ? Trop peu pour Fear the Walking Dead qui se complaît dans une torpeur créative qui atteint des sommets.
Saison 5, deuxième !
Depuis leur arrivée l’année dernière, les showrunners ont instauré une narration qui se découpe en demi-saisons. Une partie de saison suit ainsi un chemin différent de l’autre (thème, lieu, ambiance…) tout en s’inscrivant dans l’intrigue principale. De quoi espérer que la série se réveille à l’occasion de ce nouveau départ après la pause estivale. Fear the Walking Dead reprend sa diffusion avec un exercice de style original sous forme de documentaire grâce aux caméras de la journaliste Althea (Maggie Grace). Une manière de raconter l’histoire largement exploitée par l’équipe créative et qui s'est avérée bénéfique quand elle était maîtrisée.
En témoigne l’affrontement des membres du convoi contre une horde de rôdeurs vécue de l’intérieur en mode reportage de guerre. Mais le recours aux images des caméras sert davantage à alimenter la caractérisation des personnages grâce au travail de documentation d’Althea. Fear tire un peu trop sur la corde et les interviews finissent par devenir ennuyeuses, cassant le rythme déjà peu soutenu des épisodes. Le désintérêt atteint son paroxysme avec les témoignages de Morgan (Lennie James) qui ne cesse de parler de sa famille disparue, un redondance qui provoque l’agacement. La caractérisation de son personnage tourne ainsi en rond, en même temps que l’imagination de l’équipe créative coincée dans une impasse au sujet du développement de la figure de proue du show.
Si cette deuxième partie de saison remonte légèrement le niveau, il n’y a pas de quoi être enjoué par la série qui semble ne plus savoir raconter son histoire. Du standalone 210 Words Per Minute dénué d’intérêt aux facilités scénaristiques de You’re Still Here en passant par le médiocre Ner Tamid, Fear the Walking Dead souffre et meurt à petit feu. Les deux derniers épisodes de la saison viendront remettre l’intrigue sur les rails bien que le tout reste fragile et hérite de la direction artistique chaotique de la saison qui vient de s’écouler. L’ultime séquence du season finale End of the Line et son cliffhanger s’avèrera être salvatrice pour Fear qui sauve les meubles de justesse.
Au milieu de cet océan de vide créatif, une lueur d’espoir nommée Leave What You Don’t vient nous rappeler que la série est capable de bien exécuter son intrigue. L’arrivée fracassante de la mystérieuse cavalière Ginny offrira des séquences d’action et de tension léchées bienvenues. Une fulgurance scénaristique et créative sur laquelle Fear ne parviendra pas à capitaliser. Avec Today and Tomorrow le soufflé retombe et la série replonge dans le coma aussi rapidement qu’elle en était sortie. On passe totalement à côté du potentiel de ce nouveau nemesis et de sa communauté qui n’est pas sans rappeler les Sauveurs de Negan. Ni plus ni moins que du gâchis. De manière générale, Fear the Walking Dead peine à conserver de réels enjeux dans son intrigue principale par ailleurs bardée d’intrigues secondaires peu intéressantes voire stériles.
Casting XXL
Comme pour la série mère, Fear the Walking Dead affiche aujourd’hui une large galerie de personnages très différents. Et il n’est pas rare qu’ils jouent des coudes pour exister du mieux qu’ils le peuvent à l’écran. Celui-ci finit par craquer quand ils sont tous représentés en dehors des épisodes qui font un focus sur tel ou tel personnage, creusant davantage l’inégalité de traitement. Les piliers historiques de la série n’étant plus, difficile d’y voir clair entre les premiers rôles et les figures secondaires. Et quand bien même ils arrivent à exister, les anciens héritent d’un développement expéditif insensé, à l’image d’Alicia (Alycia Debnam-Carey) voire d’un manque total de traitement comme pour Strand (Colman Domingo) et Luciana (Danay Garcia).
Un symptôme caractéristique de cette saison où les créatifs ont introduit de nouvelles têtes sans forcément prendre soin de les développer. Ainsi, qu’il s’agisse de l’ingénieure nucléaire Grace (Karen David), du rabbin Jacob (Peter Jacobson) ou du jeune routard Wes (Colby Hollman), la série se contente d’une introduction gavée d’un maximum d’informations et lâche ses nouveaux protagonistes dans l’arène sans plus jamais – ou presque – s’en occuper par la suite. Ce qui rend extrêmement difficile l’investissement du téléspectateur dans ces personnages. Un sentiment exacerbé par le manque d’enjeux autour d’eux : une épidémie de plot armor semble avoir touché les survivants pour qui l’apocalypse zombie ressemble davantage à un camp de vacances de survie qu’à la fin du monde. Le recours massif aux talkies-walkies et la fausse bonne idée du puits de pétrole (qui permet des déplacements presque illimités) aggravent davantage la situation. Quant aux rôdeurs, ces derniers sont relégués comme simple toile de fond et ne constituent qu’une menace relative, un comble !
Alors que la scène est pleine à craquer, Fear fait réapparaitre un fantôme du passé en la personne de Daniel Salazar (Rubén Blades). Une surprise ratée car spoilée avant la diffusion de la saison par les showrunners eux-mêmes. Et un coup d’épée dans l’eau tant le rôle du personnage cette saison - qui passe d’un allié instable ex-mercenaire sanguinaire à un gentil compagnon propriétaire d’un chat - est lamentable. Évoquons le cas Dwight (Austin Amelio) qui n’échappe pas aux démons de la série et dont la greffe depuis The Walking Dead ne s’est pas passée comme prévue. L’ex-lieutenant de Negan hérite d’une storyline bâclée, bien loin de celle de l’homme au bâton désormais fer de lance du show après la disparition de Madison Clark (Kim Dickens). On peine à vraiment s’attacher au personnage à qui l’on flanque un rôle de boulet dans son épisode d’introduction avant de lui coller une histoire insignifiante pour le reste de la saison. Quitte à récupérer un personnage de la série mère, pourquoi ne pas réellement marquer le coup avec une figure symbolique telle une Carole ou une Maggie ? Cela permettrait de relancer l’intérêt pour Fear the Walking Dead en plus de rapprocher significativement les deux séries. Difficile pour les comédiens de briller avec ces scripts vides aux dialogues grossiers qui engendre surjeu et manque d'implication.
Le côté obscur
Si Fear the Walking Dead a su montrer qu’elle valait parfois mieux que sa grande sœur, il est une qualité que la cadette n’a jamais eue : des nenemis à la hauteur. La série n’a jamais su porter ses antagonistes au même niveau qu’un Gouverneur, un Negan ou une Alpha qui ont su faire vibrer les téléspectateurs. Et force est de constater que Fear n’y parvient toujours pas cette année comme les années précédentes malgré le potentiel de ses figures du côté obscur de l’apocalypse.
Le cas Logan (Matt Frewer) est assez révélateur de ce point faible de la série. Introduit au tout début de la saison, le camionneur se hisse directement comme un antagoniste sérieux face à notre bande de survivants. Malheureusement, le climat de tension qu’il installe disparaît en même temps que le personnage que nous retrouverons seulement à l’occasion du mid-season finale après une incompréhensible disparition de l’écran. Et quand, sur le tard, Fear décide de significativement caractériser son nemesis, celui-ci sert de fusible pour en installer un autre en la personne de Virginia (Colby Minifie). Malgré une introduction solide, véritable coup de fouet pour la narration, le traitement du personnage n’aura pas été assez soigné pour véritablement l’installer en cette fin de saison. Fear s’étant probablement contentée ici de lancer une piste pour sa prochaine saison. Un raté qui souligne davantage le manque cruel d’enjeu cette année.
Causes et conséquences
Mais que diable s’est-il passé pour que le renouveau initié l’année dernière tourne à la crise créative cette saison ? Quand Andrew Chambliss et Ian Goldberg ont remplacé Scott Gimple au pied levé, ils ont profondément renouvelé les équipes créatives du show. Un pari risqué qui aura payé puisque les jeunes talents recrutés ont su donner une nouvelle identité à la série qui s’est montrée audacieuse à de nombreuses reprise. Cette année encore, du sang neuf a été injecté dans les veines du show. Mais le résultat n’a pas été le même. Entre scénaristes inexpérimentés et habitués peu talentueux, la production de Fear the Walking Dead a parié sur les mauvais chevaux.
Derrière la caméra, même l’excellent Michael E. Satrazemis, le prodige de la franchise désormais taulier de Fear, a eu grande peine à faire vivre les scénarios creux qu’on lui a confié. Pour autant, la réalisation globale de la saison affiche un résultat respectable : les différents metteurs et metteuses en scènes qui se sont relayés ont produit des copies au bas mot correctes et régulièrement créatives. De quoi plus ou moins sauver cette saison de la catastrophe intégrale.
L’apocalypse zombie aurait-elle donc frappée la writing room ? Une chose est sûre, Andrew Chambliss et Ian Goldberg semblent avoir déserté la barre et laissé le navire dériver. À l’occasion du prestigieux panel de la Comic Con de San Diego cet été – qui jure franchement avec l’état de santé actuel de la série par ailleurs – les deux showrunners promettaient une nouvelle manière de raconter l’histoire. En lieu et place de cette promesse, nous avons eu droit à une direction artistique chaotique si ce n’est inexistante. De quoi décevoir la fanbase – déjà très réduite - du show qui ne s’est pas gênée pour dire toute son affliction sur les réseaux sociaux, qualifiant leur série préférée d’ « irregardable » à plusieurs reprises. Les conséquences sur les audiences ont été immédiates, Fear atteignant les pires chiffres de son existence avant de bénéficier d’une légère remontée en fin de saison.
The Walking Dead Universe
Se pose alors la question suivante : cette cinquième saison de Fear the Walking Dead a-t-elle été sacrifiée sur l’autel d’un plus grand avenir ? Je m’explique. Depuis le rapprochement officiel des deux séries, grâce au crossover personnifié par Morgan, AMC s’est lancée dans un projet d’envergure pour sa franchise zombiesque. La chaîne a débuté le chantier d’un univers étendu sur le modèle du Marvel Cinematic Universe. Une stratégie confirmée par les récentes productions d’un troisième spin-off ayant lieu dans le futur et d’une trilogie de films relatant le sort réservé à Rick (Andrew Lincoln) après sa sortie de la série mère.
Et Fear the Walking Dead ne sera pas en reste dans l’élaboration de cet univers étendu. En témoigne l’apparition de CRM et ses hélicoptères présentés dans The Walking Dead ainsi que les rumeurs persistantes de retrouvailles entre Morgan et Rick dans les films consacrés à ce dernier. Un futur grandiose construit sur des bases plus que fragiles à l’heure où la franchise subit un désintérêt profond du public et enregistre ses pires scores d’audiences. AMC a d’ores et déjà commandé une sixième saison de Fear the Walking Dead. Une saison pour laquelle Chambliss et Goldberg promettent de grands changements sur le fond, comme sur la forme. Un défi de taille pour le show qu’ils laissent dans un état lamentable.
Bilan
Direction artistique chaotique, intrigues stériles, caractérisation bâclée et développement décousu : l’apocalypse zombie n’a jamais été aussi ennuyeuse.
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