Critiques
Seriesaddict.fr par Loïc Marie | 1
Attention, il faut avoir vu la saison complète avant de lire le bilan.
Un homme mystérieux débarque en Syrie et mène un groupe d'hommes à la frontière avec la Palestine. Surnommé Al-Masih, l'homme va s'imposer un peu partout autour du globe comme une figure une messianique à suivre, et tenter de guider l'humanité vers un nouveau monde, un monde de paix.
L'Antéchrist, Késako ?
L'antéchrist est une figure commune aux croyances chrétiennes et islamiques. Dans la religion chrétienne, le terme « antéchrist » désigne parfois un individu ou un groupe de personnes, qui tente de se substituer à Jésus-Christ, et qui prendra le pouvoir sur Terre aux côtés de Satan et d'un faux prophète appelé dans la Bible « bête montant de la terre ».
Il séduira par des actes miraculeux de diverses natures et instaurera un règne donnant l'impression d'apporter la paix et la sécurité en développant, notamment, un système religieux universel par l'adoration de l'Antéchrist lui-même. Une dictature universelle, qui exterminera et persécutera les juifs et non-juifs osant déclarer leur foi en Dieu et en Jésus-Christ.
Son règne devrait durer 42 mois, soit 3 ans et demi, avant la venue de Jésus-Christ sur Terre.
Dans l'Islam, plusieurs traditions prophétiques mettent en scène al-Dajjal (nom que vous pouvez entendre dans la série) – l'équivalent de l'antéchrist. Littéralement, al-Dajjal signifie « Le Trompeur » ou « L'Imposteur ».
Dans certaines versions, ce dernier apparaîtrait à la fin des temps pour tenter et tromper l'humanité et lui demander de croire en lui, accomplissant des miracles, avant de prétendre qu'il est lui-même Dieu.
En résumé, voilà qui est l'antéchrist. On ne rentrera pas dans davantage de détails, le but étant simplement ici de vous exposer les origines de la série Messiah made in Netflix, qui reprend ici cette parabole, celle d'un homme aux intentions peu louables et capable de prouesses incroyables.
Note : Aucune polémique ici, il ne s'agit pas de contester une version théologienne/philosophique de l'antéchrist, ni même de savoir laquelle est authentique ou non, mais de donner un avis sur une production télévisuelle. Soyez donc indulgents entre vous, dans l'espace commentaire. Bien à vous.
Priez pour nous, pauvres pêcheurs
La série Messiah est à l'image d'Al-Masih. Le rythme est posé, la série ne s'emballe jamais vraiment et joue sur le caractère fragile, où tout peut basculer d'un instant à l'autre. L'action y est, certes pauvres, mais Messiah peut compter sur des cliffhangers suffisamment troublants pour offrir un certain attrait à la série et, ainsi, donner envie aux spectateurs de poursuivre l'aventure mystique au côté d'Al-Masih. Spectateurs qui, au demeurant, peuvent se sentir aussi ébranlés que les personnages lorsque Al-Masih est mis en scène dans des postures miraculeuses et s'interrogent : comment a-t-il sauvé l'église de la tempête ? Comment a-t-il pu marcher sur l'eau ? Comment a-t-il ressuscité Aviram (Tomer Sisley) et les deux autres passagers de l'avion ? Ce qui est intéressant dans ces séquences-ci, c'est qu'on ne voit jamais réellement Al-Masih exécuter ses « miracles ». Outre la scène où ce dernier marche sur l'eau, tout est suggéré, semant le trouble dans l'esprit des personnages, mais aussi dans le notre. Le fait de suggérer et non d'exposer concrètement les faits contribue à cette sensation de mystère qui entoure Al-Masih. D'autant qu'il n'apporte, lui non plus, aucune réponse tangible à sa soi-disant venue sur Terre. Il est là, semble suivre un chemin tout tracé, passant d'un pays à l'autre, sans dévoiler ses objectifs, ses intentions cachées. Il parle, s'adresse aux gens, demande au Président des États-Unis de retirer ses troupes, emmène un groupe de personnes à la frontière palestinienne, sans expliquer la finalité de ses actions. Une finalité qu'on ne verra jamais, saison 2 oblige. Objectif accompli : faire languir d'impatience le spectateur.
Les Apôtres ?
Quelques-uns d'entre vous ont soulevé le peu d'intérêts des personnages principaux et secondaires de la série, prétextant que leurs intrigues personnelles n'étaient pas très intéressantes, peu développées ou manquaient d'intérêt. Je ne suis pas d'accord. Quelques exemples.
. Eva Geller (Michelle Monaghan) : Héroïne principale de la série Messiah, Eva Geller est une agente de la C.I.A, chargée, entre autre, de la stabilité au Moyen-Orient et qui va s'occuper de l'affaire concernant Al-Masih.
Son personnage est intéressent à étudier puisque comme Aviram, elle se positionne comme un être rationnel, dépourvu de toutes croyances irrationnelles. Al-Masih va bousculer ses certitudes. Cela, on le perçoit dans deux scènes. La première est celle où elle se dispute avec son père à propos de sa mère décédée. Le cœur du problème est ici. Sa mère lui a été arrachée, Dieu l'a privée d'un amour maternel et quand une personne chère à notre cœur disparaît subitement, on s'en prend au seul être capable de prendre la vie ou de la donner. Sa rationalité provient de sa peine. Ses doutes existentiels proviennent de sa douleur. Il y a aussi sa fausse-couche, le décès brutal de son mari, qui ajoutent à cette haine, même si le mot est un poil exagéré.
L'espoir, elle n'en a plus. Et si son père a été touché par la grâce, ce n'est plus le cas de la fille qu'il a élevé à son image : pragmatique et égoïste, comme Eva le dit dans l'épisode 9.
Cet espoir auquel elle se refuse, trouve un écho dans la seconde scène, lors de la révélation à la télé de l'imposture d'Al-Masih. C'est ici que sa fragilité sera le plus visible et qu'elle laissera apparaître ses véritables convictions. En effet, malgré tout ce qu'elle avait appris sur Al-Masih, Eva y croyait. Au fond d'elle, elle espérait qu'Al-Masih existe et lui insuffle à nouveau cet espoir qu'elle déteste tant. La vérité éclatée au grand jour, tous ses fantasmes secrets ont disparu.
Le retour d'Al-Masih et une nouvelle confrontation avec Eva, risque donc d'être palpitant.
. Aviram Dahan (Tomer Sisley) : Personnage complexe au passé trouble, Aviram est certainement le protagoniste de la série le plus passionnant, magistralement interprété par Tomer Sisley.
Ses confrontations avec Al-Masih sont envoûtantes, de leur première rencontre en prison à leur dernière joute verbale dans l'avion, Aviram est le seul personnage à vraiment évoluer au cours de la série. Passant d'un être sans remord à la rédemption.
La séquence où Aviram demande pardon, alors qu'il se retrouve confronté à la mort, est d'une cruelle intensité, et la compassion qu'on ressent pour lui à cet instant est d'une infinie sincérité.
. Felix Iguero (John Ortiz) et Rebecca Iguero (Stefania LaVie Owen) : Le personnage de pasteur est aussi un héros qui n'est pas dénué d'intérêts. Représentant de Dieu et des valeurs chrétiennes, Felix est dans une spirale d'échec, lorsque nous faisons sa connaissance, au début de la série. On pourrait même aller jusqu'à dire qu'il a perdu la foi. Son intention de brûler son église en est la preuve. Cette foi qu'il remet en question, va s'estomper avec l'arrivée dans sa vie d'Al-Masih, pour devenir une foi aveugle en une entité qu'il considérera rapidement comme le Messie. Et comme tout homme délaissé qui se sent par la suite important, Felix se sentira tout-puissant, devenant le porte-parole d'Al-Masih et refusant toutes contradictions quant à ses propos. Il évolue alors comme un chien fou, pétri de désespoir, acceptant tout et n'importe quoi, jusqu'à devenir avide de notoriété et cupide. Un pouvoir fragile auprès d'Al-Masih, après que ce dernier lui ai confié être là pour sa fille et non pour lui. Une trahison qu'il accepte, davantage par dépit et pour conserver son « pouvoir » médiatique, plus que part principe ou moralité. Le pouvoir de la foi corrompt, aussi bien que l'argent, et la désillusion lors de la révélation des informations sur Al-Mashi va le conduire à tout abandonner. En brûlant son église, il abandonne en effet sa foi en Dieu, ses croyances, et son rôle de pasteur.
Quant à sa fille, son regard est trompeur. Était-elle au courant du vrai message d'Al-Masih ? Seule la saison 2 le sait. Mais il sera intéressant de voir comment ces deux personnages, comme tous les autres, se relèveront de cette trahison.
. Djibril : rendez-vous un peu plus par dans le paragraphe, « la géopolitique pour les nuls ».
Les protagonistes secondaires ont également une importance capitale dans la construction du récit, même si nous ne sommes qu'aux prémisses de ce qu'ils peuvent offrir. Je pense notamment au personnage de Staci et de sa fille Reah, décédée à la fin de la saison. L'impact de sa mort aura forcément une influence sur la saison 2 et devrait permettre une sous-intrigue émouvante sur la manière dont on se relève d'un tel choc, après avoir cru dur comme fer à une guérison miraculeuse promulguée par un homme, un « imposteur », qui plu est.
Il en est de même pour de Will Mathers (Will Traval), lequel quitte son poste après avoir vu et écouté Al-Masih prononcer des mots tendres à Eliana (Chelsea Niven) dans sa chambre d'hôtel. Dans quelles circonstances le retrouverons-nous dans la saison 2 ?
Eva Geller, Aviram Dahan, Felix, Rebecca, Staci, Djibril, Will Mathers, futurs apôtres d'Al-Masih ? Tous les sacrifices et deuils qu'ils ont du endurer, n'était-ce pas pour les tester ?
La géopolitique pour les nuls
Si Messiah n'a pas vocation à se substituer à la série Homeland – la comparaison est d'ailleurs idiote et inutile – il est vrai que la géopolitique de la série est parfois douteuse, bancale. Certains éléments de la politique internationale sont rapidement expédiés, voire carrément passés sous silence. En effet, il est fort à parier que si un faux-messie débarquait sur Terre, cela bousculerait bien plus la politique extérieure que ce que nous montre la série. Notons malgré tout, quelques images et prises de positions fortes :
- Djibril se mettant nu, afin de passer la frontière. Une scène puissante qui met en lumière une volonté, plus qu'un acte désespéré, comme le désignent certains protagonistes de la série. Une volonté de rompre les différences. Dans son regard, je ne lis pas du désespoir, mais un ras-le-bol, un désir fragile mais nécessaire, celui de faire tomber les armes. Il est conscient lorsqu'il se déshabille, il est conscient lorsqu'il marche vers la frontière, il est conscient du danger.
Quand les deux jeunes gens se font face, il n'y a plus d'ennemi à abattre. Plus d'idéologie à combattre. Plus de religion comme barrière. Il n'y a plus que deux êtres humains, l'un dépourvu de tout vêtement, de toutes croyances et de l'autre, un être humain armé et qui est confronté à sa propre humanité. Une image intense, poignante, peut-être la plus belle de la série.
Néanmoins, Djibril a-t-il conscience de ce que son acte héroïque provoquera ? Rien n'est moins sûr. D'ailleurs, la suite le révèle parfaitement. Djibril se retrouve dépassé par son acte et devient, malgré lui, le porte-parole de toute une nation.
- Son histoire se met également en parallèle avec celle de son ami Samir (Farès Landoulsi). Messiah dévoile la manière dont les Djihadistes (?) profitent de la moindre brèche idéologique pour endoctriner les jeunes, notamment avec ceux qui sont perdus, mais également les plus faibles. Si la série passe assez vite sur les étapes de l'endoctrinement, elle dévoile cependant les intentions de leurs dirigeants : se servir des jeunes comme Kamikazes. Le message de prévention est donc ici très clair : engagez-vous mais vous ne servirez jamais une véritable cause, vous ne servirez simplement que de chair à canon. A leurs yeux, vous n'êtes rien d'autre que du bétail sacrificiel.
- Les larmes de Will, après qu'Al-Masih se soit entretenu avec Eliana. Un échange qui touchera directement l'agent du FBI et qui aura pour conséquence l'abandon pur et simple de son poste. Cette décision est perturbante, rare sont les séries où un représentant de la loi décide de renoncer à la surveillance d'un suspect et de partir par conviction religieuse.
Bilan
Messiah n'est pas une série transcendante toutefois, elle peut compter sur des personnages attachants - en constante évolution -, lesquels sont confrontés à des dilemmes moraux et religieux douloureux, ainsi que sur des raisonnements philosophiques plutôt bien amenés et compense un manque de créativité sur la mise en scène et une photographie, pas toujours à la hauteur des enjeux.
Désormais, quelle suite pour la série Messiah ? Continuer sur des intrigues politiques ou bien basculer dans le fantastique ? Car, si la série se veut être une « adaptation » de la parabole biblique/coranique de l'antéchrist inévitablement, il faudra aller au-delà d'une basique production aux intrigues très terre-à-terre. En effet, que ce soit dans la Bible ou le Coran, l'arrivée de l'antéchrist se conclut par l'arrivée de Jésus-Christ sur Terre, de batailles avec des anges, d'affrontements messianiques. On y parle de Satan, de monstres divins, autant d'éléments fantastiques qui ne conviendraient pas à une série politico-religieuse stricte et rigoureuse.
1 Commentaire
Le 17/01/2020 à 13h37
EXCELLENT ...et surtout tres original
8/10