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Atlanta - Bilan saison 3

Bilan saison 3 © FX - 2022

« Atlanta est phénoménale, atteignant et dépassant ce que peu de séries télévisées ont fait jusqu’ici ». Ainsi débutait l’éloge de Nick Grad, président des programmes de la chaîne câblée FX, au sortir de la robbin' season, nom donné au second volet de la série. Donald Glover et ses acolytes se voyaient alors offrir deux saisons supplémentaires avec un tournage en partie délocalisé en Europe. Une bénédiction rare pour un programme de niche et la volonté affirmée pour FX de porter des récits forts et des créateurs.trices innovant.e.s.

Quatre ans plus tard, en mars 2022, Atlanta fait son grand retour sur le petit écran. Une résurrection attendue par les fans et scrutée par la critique. Une pause forcée de deux ans due à la pandémie Covid puis deux autres années de tournage international discret ont aiguisé l’appétit des spectateurs avides de nouvelles aventures du rappeur Paper Boi et de sa clique.

Un délai qui a permis à la série de trouver un nouveau public, gagnant en popularité et en succès grâce au streaming. En témoigne la projection en avant-première française du season three premiere au festival SériesMania en partenariat avec OCS qui a assuré la diffusion de la série chez nous trois jours après la diffusion US.


Brouiller les pistes
Pour son grand retour, la série réapparaît là où ne l’attends pas et déjoue les attentes. En place et lieu de l’attendu début de tournée européenne de Paper Boi, Atlanta offre un épisode anthologique qui n’a rien à envier à l’univers sombre cauchemardesque du cinéaste Jordan Peele. Avec le premier épisode, Stephen Glover met en scène le jeune Loquareeous qui, après un mauvais comportement à l’école, se voit placer dans une famille d’accueil dirigée par un couple de femmes Blanches. Frappées d’un syndrome du sauveur déviant, elles font subir à leurs enfants adoptifs, des petits Noirs uniquement, une maltraitance psychologique, physique et sociale jusqu’à organiser un suicide collectif.

Si les enfants survivent dans l’épisode, ce n’est pas le cas dans la réalité qu’à décidé d’adapter le scénariste. Sa version fictionnée du fait divers explore sans détours une faille du système de protection de l’enfance américain qui, sous prétexte de vouloir sauver de jeunes enfants Noirs d’un environnement toxique, finit par leur causer des torts plus graves. Le préambule de l’épisode préfigurait déjà le pire pour Loquareeous qui se réveillait d’un cauchemar, une référence fantomatique à une épuration raciale ayant eu lieu un siècle plus tôt en Géorgie. Le season premiere se termine avec une mise en abîme mystérieuse montrant Earn (Donald Glover) qui se réveille du même cauchemar dans une chambre d’hôtel.

Après ce détour, Atlanta prend le train en marche de la tournée de Paper Boi. À Amsterdam, le second épisode explore la nouvelle vie de rockstar du rappeur, des clichés des prisons nord-européennes réputées pour le bon-vivre aux plans à trois et cachets d’artiste de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Le tout sur fond de tradition néerlandaise centenaire marquées de blackfaces décomplexées.

C’est une nouvelle fois Darius (Lakeith Stanfield), accompagné de Van, qui apportera une touche surréaliste à l’épisode. La mise en scène d’Hiro Murai offre un twist pétrifiant à la veillée funéraire dans laquelle il vient d’arriver presque par hasard : cet étouffement brutal, en réalité une euthanasie, renverse notre perception de la séquence. La doula devient un bourreau et l’assemblée une secte. Pas besoin d’un œil averti pour y voir un parallèle avec une exécution capitale, les seuls Noirs ici étant les valets, le condamné et nos personnages témoins. Une entrée en matière sous forme de diptyque inhabituel pour le show qui brouille les pistes dès ses premières minutes et annonce une certaine ambition narrative.


Tournée européenne
Sur le Vieux Continent, Alfred aka Paper Boi (Bryan Tyree Henry) semble s’être définitivement échappé du Crabs in a barrell. S’il profite des avantages de la célébrité, il n’en reste pas moins un artiste consciencieux avec une certaine sensibilité du monde qui l’entoure. Une personnalité déjà présente alors qu’il débarquait tout juste dans le milieu du rap underground d’Atlanta. L’arène n’est désormais plus la même mais les règles du jeu n’ont pas changé. La caractérisation du personnage poursuit sa logique de dualité : si Paper Boi est un rappeur à l’aise taillé pour le costume, il co-existe avec Alfred bien plus fragile. En témoigne l'épisode 8, rite initiatique en plein cœur d’Amsterdam qui rappelle l'épisode Woods de la saison 2, où le rappeur est confronté aux démons du passé et à ceux à venir.

Quant à l'épisode 5, on nous amène au plus près de la psychée du personnage après que celui-ci se soit fait voler son smartphone contenant un précieux audio. Dans une parodie d’interrogatoire aussi piquante que tendue, son cousin et lui interrogent un suspect aux airs de Riddler, grand méchant énigmatique de l’univers de Batman. Le jeune homme frêle semble connaître tous les secrets d’Alfred, le poussant dans ses retranchements. En proie au syndrome de la page blanche et tourmenté par la question de la propriété intellectuelle, jamais le rappeur n’a été aussi vulnérable, cette fois-ci sans aucune menace physique ou armée.

À travers cette figure d’artiste Noir en pleine accession à la notoriété, Atlanta s’attaque de front à la pratique du blackwashing. Sous couvert d’investissements dérisoires dans des fondations, des célébrités Noires absolvent les écarts racistes de propriétaires Blancs de grands groupes capitalistes. En l’occurrence, l'épisode 6 prend l’exemple d’une marque de haute couture frappée d’un bad buzz à cause de vêtements faisant référence à l’affaire des « Central Park Five », erreur judiciaire où cinq jeunes Noirs new-yorkais ont été jugés et condamnés à tort pour viol. Atlanta revisite ici la situation du season finale de la saison 2 en l’inversant, projetant Paper Boi dans une réalité peu ragoutante : alors qu’ils en ont le pouvoir, ces Noirs ne viennent pas en aide à leur communauté d’origine. Au contraire, ils participent à son ostracisation sociale voire nourrissent une certaine forme de racisme systémique. La série interroge sans juger et expose son propos avec une maîtrise remarquable, faisant ainsi d’une phrase prononcée de manière anodine un véritable coup de poing : « Ça fait 73 meurtres de Noirs par la police que je n’ai pas payé ma bouffe » lance avec désinvolture Khalil à Alfred, un petit-four à la main.

La prestation de Brian Tyree Henry donne corps à la force de l’écriture et de la mise en scène d’Atlanta. Ses célèbres micro-expressions du visage font partie de l’humour si particulier, hautement indescriptible, du personnage comme de la série. Entre rite initiatique intime, philosophique et artistique, le personnage jouit d’une caractérisation soignée qui se à maintient un niveau honorable depuis trois saisons.

À ses côtés son cousin Earn est devenu un véritable manager après la remise en question de la Robbin’ Season. Le jeune homme qui prend sa mission très à cœur, beaucoup trop peut-être, subit de plein fouet la réalité d’une tournée et du management d’artiste. En première ligne, on le retrouve dans des situations comiques dont seule Atlanta a le secret telle la fouille de ce jeune cancéreux fan de Paper Boi ou encore sauvé in extremis d’un régisseur de salle de concert furieux grâce à des centaines de spectateurs arborant une blackface.

Sur un tout autre registre, l'épisode 3 confronte Earn à l’éternelle question financière, à un niveau stratosphérique cette fois-ci. À Londres, il rencontre un collaborateur qui gère une partie de la fortune d’un milliardaire philanthrope. Une opportunité unique pour la carrière de Paper Boi, synonyme de vendre son âme au Diable pour le manager. Face à lui pourtant, un jeune noir sans réel talent et adepte de Tik Tok profite de cette manne financière sans scrupules. En découvrant par hasard que l’héritage de ce milliardaire s’est construit en partie sur l’esclavage des Noirs, Earn voit sa vision du milieu radicalement changer.

Davantage en retrait qu’auparavant, le personnage jouit néanmoins d’un temps d’écran pertinent, marqué par le flegme légendaire de son interprète, Donald Glover, largement à la manœuvre derrière la caméra. Mais c’est bien son compère Lakeith Stanfield, qui joue le très perché Darius, qui remporte la palme du décalage et de l’humour absurde. Les pérégrinations européennes de son personnage ne se limitent pas qu’à des délires et expérimentations hallucinogènes. À Londres, victime d’une supposée remarque raciste de la part d’une jeune femme asiatique, la soirée chez le milliardaire dérape quand un invité Blanc au comportement excessif prend sa défense jusqu’à molester la jeune femme. Dépossédé de son identité propre, Darius est ainsi victime de ce que la white guilt (culpabilité blanche) a de plus pervers. Un peu plus tard, l’aventure du personnage deviendra plus amère encore quand il sera frappé de plein fouet par l’appropriation culturelle et ses dérives, dépeintes ici par le pillage de la culture d’une minorité ethnique à des fins capitalistes, le tout enrobé d’un marketing opportuniste surfant sur un certain exotisme nauséabond.

Réalité alternative
Sans forcément verser dans la comparaison, on pouvait attendre l’exploration de thématiques chères à la série appliquées aux populations Noires européennes. De potentiels sujets sur lesquels Atlanta a fait l’impasse, Donald Glover soulignant que ce qui a intéressé les créatifs était davantage leur point de vue et celui de leurs personnages sur ces nouveaux lieux que les lieux en eux-mêmes.

Les fans de Paper Boi qui s’attendaient également à vivre sa tournée européenne de l’intérieur ont été déçus. Seule la moitié de cette troisième saison, soit cinq épisodes, est dédiée au rappeur et à sa bande. Aucune image de concert ou presque, l’intimité des coulisses principalement mais surtout les pérégrinations dans les capitales outre-Atlantique.

Et cette année, les récits ne sont pas forcément liés aux personnages. Atlanta fait ici le choix d’une saison hybride ponctuée de véritables courts métrages d’anthologie qui ne se limitent pas à tisser une simple toile de fond mais créent un véritable univers. L’équipe créative parle même de mirrorverse. Atlanta dépeint une réalité tantôt altérée, tantôt déformée voire carrément inversée. Le tout avec un ton horrifique et une atmosphère inquiétante qui n’est pas sans rappeler Black Mirror.

Juste après le season premiere, l'épisode 4 imagine une société américaine ou les descendants d’esclaves poursuivent les descendants de propriétaires d’esclaves pour leur réclamer justice et dédommagement. C’est ainsi qu’un employé de bureau lambda se retrouve poursuivi par une jeune femme Noire pour les crimes de ses ancêtres. Elle se livre à un véritable harcèlement jusqu’à occuper sa maison et le faire fuir. Habilement, l’épisode reste impartial sur la légitimité de la démarche et ne répond pas à la question de qui a raison ou non, soulignant que les deux parties sont au final victimes et que les décisionnaires, les États et les grandes entreprises, se dissimulent derrière ces guerres sociétales.

La question de la réparation n’est pas nouvelle mais commence à prendre de l’ampleur aujourd’hui. Si celle des Native Americans et des survivants de l’Holocauste a bien existée, quoique relative et difficilement chiffrable, celle des descendants d’esclaves reste un tabou. Au pays de l’Oncle Sam, c’est tout naturellement que le capitalisme, l’exploiteur ultime, s’adapte pour tirer profit cette lutte d’un nouveau genre et poursuivre son exploitation. Ce récit qui prend la forme d’un worst day ever à la construction maîtrisée ne fait pas l’impasse sur l’humour : dans un open space à la The Office (US), les employés se lancent dans une course au test ADN par correspondance pour prouver qu’ils descendent d’un peuple opprimé et éviter un licenciement. La série exploite ici la fibre de la white guilt, la malédiction de certains occidentaux blancs vis-à-vis du passé de leurs sociétés, fil rouge cette saison.

Avec toute son expertise, Atlanta s’attaque habilement à cette lubie des racistes qu’est le grand remplacement dans l'épisode 7, signé Jordan Temple (The Marvelous Mrs Maisel). Le standalone met en scène un petit garçon Blanc qui perd subitement sa nounou, une vieille dame originaire de Trinité-et-Tobago. Les parents, un jeune couple d’actifs de classe socio-professionnelle supérieure, réalisent à quel point la babysitter a eu un impact significatif sur leur enfant : goûts culinaires, langage, accent et même croyances. Une psychose de la contamination savamment dosée, toujours teintée d’une ambiance surréaliste, qui s’inscrit en réalité dans la question sociétale du manque d’investissement émotionnel dans les enfants de nos sociétés modernes. Manque régulièrement comblé par des femmes d’origines sociales différentes et d’ethnies étrangères. L’épisode reste assez léger dans son traitement mais n’en demeure pas moins intéressant et audacieux dans les thématiques qu’il porte à l’écran.

Carrément plus osé, le pénultième épisode de la saison, l'épisode 9, s’impose comme un climax de la question de l’identité Noire explorée par la série. Écrit et réalisé par Donald Glover, il met en scène un jeune métis tourmenté entre son origine sociale et ethnique, se sentant foncièrement Blanc mais se voyant sans cesse rappelé à sa condition de Noir. Un équilibre précaire dynamité par l’arrivée d’un alumni de son lycée, devenu riche, qui propose d’offrir une bourse d’étude universitaire aux seuls étudiants Noirs. Débute alors une course à qui est noir ou pas à leurs yeux, les futurs étudiants devant le prouver face à une espèce de tribunal qui ne juge pas uniquement sur la couleur de peau. Il n’y a donc pas que des victimes chez peuples opprimés, il y a même carrément des profiteurs. Une provocation hautement risquée et développée avec grande inspiration.

On retiendra le cas hallucinant de ce jeune homme d’origine africaine déconsidéré comme Noir car lui peut retracer ses origines, ce qui n’est pas le cas des afro-américains descendants majoritairement des esclaves. La question des violences policières systémiques envers les Noirs est par ailleurs traitée elle aussi, non sans l’ironie particulière qui habite Atlanta. Avec un réel savoir-faire dans la prise de recul et la nuance de son propos, la série se lance dans une démarche quasi-anthropologique de l’identité Noire, variable dans l’espace, le temps et selon les individus. Un prisme sans cesse retourné par cette saison qui tente de construire une réponse, quand bien même elle ne peut être unique, via une multitude d’expériences individuelles. Le show s’essaye ici à l’exercice de style esthétique avec un épisode en noir et blanc où le travail de lumière influe directement sur le récit, qui, s’il n’est pas entièrement maîtrisé, brille par son originalité.

Le cas Van
Après avoir complètement disparue, nous retrouvons Van pour le dernier épisode de la saison. C’est son amie Candice (que l'on avait vue ici) en visite pour satisfaire les fantasmes sexuels d’un riche français, qui la repère en plein Paris : la jeune femme vit un véritable délire à la Amélie Poulain, style vestimentaire et accent français approximatif inclus. Véritable ode à l’absurde, l'épisode 10 nous embarque dans un road movie loin des clichés de la ville Lumière entre crime organisé et haute bourgeoisie cannibale symbolisée par un Alexander Skarsgård masturbateur compulsif dans une étonnante parodie de lui-même.

Déstabilisant au possible, Tarrare ne s’apprécie qu’à l’issue de sa course effrénée à l’exagération. Les deux cousines de Candice apportent un commentaire comique vital au récit qui souffre du manque chronique de caractérisation de Van. Toute cette saison, le personnage de Zazie Beetz n’a été qu’un fantôme aux comportements extravagants. Si en filigrane sa relation incertaine avec Earn guide sa quête identitaire, on regrette son traitement trop ponctuel malgré des séquences léchées et bien interprétées.

Bien qu’expédié, le retour à la raison du personnage jouit d’une sincérité et d’une simplicité qui relèguent le reste de l’intrigue au rang de délire créatif. Stefani Robinson signe ici probablement l’épisode le plus étrange de la série. En témoigne l’image finale de cette jeune femme noire urinant sur un homme Blanc riche en observant tranquillement la Tour Eiffel s’illuminer. Un symbole fort, voire politique, abordé non sans finesse et humour.

Atlanta clôture donc sa troisième saison sans l’intégralité de son casting principal, comme elle l’a commencée. Une séquence post-générique met en scène Earn, dans le lobby d’un hôtel quelque part en Europe, recevant une valise d’effets personnels appartenant au Earn Blanc, aperçu plutôt dans la saison et ayant mis fin à ses jours à cause de la white guilt. Liant ainsi la réalité alternative des épisodes standalones à celle de nos personnages. Une touche intrigante mais trop mince pour réellement homogénéiser cette saison.

Expérimentation
Atlanta expérimente donc une forme tout à fait libre qui en aura déstabilisé plus d’un.
La série atteint en réalité sa forme finale : avec des épisodes événementiels, véritables courts métrages aux niveaux de lecture plus profonds, Glover déroule sa vision initiale d’Atlanta libérée de la structure traditionnelle de la sitcom ou de la comédie. Mais redevient malgré elle un show de niche qui perd la moitié de son public comparé à la dernière saison. Les épisodes réunissant en moyenne 250000 téléspectateurs avant de s’effondrer à 152 000 pour le season finale. Diffusée en +24 sur la plateforme de streaming Hulu qui ne communique pas ses audiences, il est fort à parier que la série y trouve davantage son public.

Si la réception critique d’Atlanta culmine toujours au sommet, le show étant qualifié de « cadeau » du petit écran, la note publique creuse l’écart pour atteindre un plus bas historique. Le célèbre indicateur RottenTomatoes relève 67% de satisfaction contre 91% pour la première saison et 88% pour la deuxième. Une chute vertigineuse directement liée aux choix narratifs de l’équipe créative qui entoure Donald Glover. Ce dernier rumine toujours le snobisme des Emmy Awards qui a entériné sa volonté de faire prendre à Atlanta un tournant radical quitte à dérouter son public.

En coulisses
Avec la bénédiction de son diffuseur FX, Donald Glover a réuni ses auteurs habituels autour de lui son frère Stephen Glover, Taofik Kolade, Jamal Olori, Ibra Ake et Stefani Robinson ainsi que trois petits nouveaux, Janine Nabers, Francesca Sloane et Jordan Temple. Une équipe jeune et mixte, au cœur des préoccupations de leurs personnages et directement concernée par les thématiques abordées dans leurs récits, plus denses que jamais.

Si la qualité des épisodes anthologiques n’est pas à prouver, Atlanta rogne de facto sur son aspect feuilletonant. Les personnages perdent donc énormément en temps d’écran, validant l’adage « loin des yeux loin du cœur » pour une partie du public frustrée. En témoigne le traitement de Van, jouée par une Zazie Beetz au potentiel sous-exploité, qui jouit d’une storyline en creux peu inspirée et trop diluée dans le peu d’épisodes consacrés à la bande. Une bande dont elle ne fait définitivement pas partie, contrairement à ce que laissait entrevoir son arrivée en Europe aux côtés d’Earn, Alfred et Darius. À mon sens, un acte manqué.

Impossible par ailleurs de faire évoluer un personnage secondaire à l’image de Tracy (Khris Davis). Autre raté, l’introduction hasardeuse de Socks (Hugh Coles), un jeune homme au comportement borderline qui s’incruste sur la tournée de Paper Boi. La greffe ne prend pas et pire, le personnage disparait en pleine saison sans explication. À noter le casting remarquable d’invités qui déploient un jeu au diapason avec la mise en scène pointue de la série : Ava Greyn, Tyriq Withers, Justin Bartha et notamment Samuel Blenkin pour une des prestations les plus déroutantes du show.

Sans oublier le coup de poker Liam Neeson, secret bien gardé, qui prend ici un risque énorme en interprétant une version alternative de lui-même. Risque que la série assume tout autant, preuve s’il fallait que l’auto-censure ne fait partie de son ADN. L’acteur revient sur ses propos de 2019 où il avait publiquement avoué qu’il voulait « à tout prix buter un batard Noir » après qu’une amie se soit faite violée. De manière habile, l’épisode semble mettre en scène un mea culpa avant que le personnage ne revienne à la charge avec des propos tout aussi racistes et violents sur le fond mais aseptisés sur le forme pour celui dont la carrière n’a finalement pas été aussi affectée que ça. En filigrane, la saison 3 porte ainsi une critique acerbe de la cancel culture dont la réalité est plus que relative et métaphorisée par un bar select baptisé Cancel Club. Atlanta porte ici une voix militante moderne par un biais artistique au style unique. Une expertise et une maturité rare, faisant fi des tabous et du politiquement correct.

Derrière la caméra, Hiro Murai, rempile pour les deux tiers de la saison. Inutile de rappeler le talent du jeune réalisateur qui met en scène avec un œil acéré la plupart des épisodes de la série. Son complice Donald Glover complète le tableau avec des mises en scènes toutes aussi inspirées. Cette année, le directeur de la photographie britannique Stephen Murphy prend le relai de Christian Springer, chef opérateur attitré d’Atlanta, pour les épisodes tournés en Europe. La cohabitation artistique est un sans-faute, le talent des deux techniciens offrant à Atlanta une identité visuelle propre tout aussi importante que le scénario et la mise en scène. Lumière, cadres et mouvements de caméra magnifient des décors choisis avec soin, tantôt au service d’un réalisme cru, tantôt à celui d’un surréalisme plus léger. Saluons le travail du montage des images et du son qui confère à Atlanta un sens de la narration d’une redoutable efficacité.

Une mécanique bien huilée qui offre un show on ne peut plus actuel à la télévision. Un mélange des genres assez singulier, salué pour interroger le tabou de l’identité raciale aux USA. Pour la presse, Atlanta demeure « plus noble, choquante et fascinante que jamais » tandis que l’atmosphère horrifique des standalones a été salué par un maître en la matière, le cinéaste Guillermo del Toro. On reste malgré tout sur notre faim et on digère encore cette forme nouvelle d’Atlanta alors que sa troisième saison s’achève sur une note stupéfiante. La quatrième et ultime saison de la série constituera une suite directe puisqu'elle sera diffusée dès septembre prochain sur FX.

8/10

Bilan

Pour sa troisième saison, Atlanta atteint sa forme finale en s’émancipant de la structure traditionnelle de la comédie télévisée grâce à un mélange d’épisodes anthologiques, véritables courts métrages surréalistes, et des intrigues feuilletonantes plus classiques. La série traite ici de la question de l’identité Noire avec des récits audacieux et l’expertise d’une équipe créative directement concernée par les thématiques qu’elle explore. Succès critique incontestable, cette nouvelle saison a malheureusement dérouté une partie de son public, s’enlisant comme un show de niche malgré un propos on ne peut plus actuel et un sens de la narration singulier.

2 Commentaires

  • Toff63
    Le 14/09/2022 à 15h35

    Premier mot pour toi Yazid: BRAVO!! Quelle critique!! Dense, complète et très agréable à lire.

    Elle fait parfaitement honneur à cette série étonnante qu'est Atlanta. C'est bien simple, en démarrant un épisode d'Atlanta, on sait jamais sur quoi on va tomber, c'est la surprise perpétuelle et souvent une excellente surprise, comme tu l'as bien détaillé dans ta critique.

    Je reste pour autant moi aussi sur ma faim concernant Van et je trouve que la série exagère au niveau de la narration. Pas celle de chaque épisode, mais sur l'aspect global de la saison et le lien entre tous les épisodes. Cette narration puzzle fait qu'il est parfois difficile de suivre les évolutions des personnages et de s'accrocher à eux.

  • Yazid
    Le 25/09/2022 à 21h35

    Merci pour ta lecture et ton retour Toff63, fidèle au poste ça fait plaisir :)

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